Sur l'asile et l'euro, être solidaires dans notre propre intérêt

António Vitorino, presidente del Instituto Jacques Delors, habla sobre las principales cuestiones que se tratarán en el próximo Consejo europeo de los días 25 y 26 de junio respondiendo a cuestiones tales como el asilo, Grecia, la reforma de la Unión Económica u Monetaria, el plan Juncker o la seguridad.

Los cinco presidentes de la UE
El informe de los cinco presidentes marca la actuación de la UE para la consecución de la UEM/ Foto: CE

Ce Conseil européen est appelé à statuer sur les propositions de la Commission face à l'afflux massif de demandeurs d'asile : quelles sont vos attentes et positions face à un tel défi ?

Je souhaite que le Conseil européen approuve les pro positions formulées par la Commission en avril dernier, car elles me paraissent à la fois courageuses et équilibrées. L'essentiel du débat devrait se concentrer sur le degré de solidarité consentie vis-à-vis des pays confrontés à un afflux massif de demandeurs d'asile, principalement l'Italie et la Grèce, dans un contexte politique particulièrement hostile, et qui appelle à de salutaires clarifications.

Il s'agit principalement d'adopter de manière urgente les mesures proposées en matière de «relocalisation» de 40 000 demandeurs d'asile, qui verront leur demande examinée par d'autres pays que la Grèce ou l'Italie. Ce qui est en jeu, c'est de répartir une toute petite partie de l'ensemble des demandeurs d'asile arrivant en Europe (un peu plus de 600 000 en 2014), et ce de manière temporaire, afin d'atténuer la pression qui s'exerce actuellement sur les pays du Sud. Le Conseil européen doit approuver la proposition de la Commission de manière claire, sans ergoter sur la pondération des critères proposés par la Commission pour organiser une telle répartition temporaire (population, PIB, taux de chômage, nombre de demandeurs d'asile accueillis et de réfugiés réinstallés).

Cette décision politique de principe s'impose d'autant plus que, rappelons-le, cette répartition dite «obligatoire» ne force en rien les États membres à accepter les demandes d'asile: les décisions d'acceptation ou de rejet sont d'ordre national, et varient d'ailleurs très fortement d'un pays à l'autre. Mais il est d'autant plus dans l'intérêt des États membres d'être solidaires que, s'ils ne le sont pas, les pays débordés n'auront plus ni la capacité ni, sans doute, la volonté d'accueillir les demandeurs d'asile qui arrivent sur leur territoire en trop grand nombre, de sorte qu'ils rejoindront de toute façon les pays voisins de l'UE, mais de manière anarchique.

Si un accord peut être forgé sur ce premier enjeu, il devrait être moins compliqué de s'entendre sur la «réinstallation» proposée de 20 000 réfugiés syriens et érythréens déjà pris en charge par le HCR au Proche Orient et en Afrique.

Au-delà des discussions relatives à ces mécanismes de solidarité, le Conseil européen devra naturellement aussi confirmer la mise en œuvre des orientations qu'il a adoptées en mai dernier : lancement d'une opération militaire contre les passeurs en Méditerranée; triplement des moyens de contrôle et de sauvetage en Méditerranée; mobilisation diplomatique et financière pour la stabilisation et la reconstruction de la Libye, de la Syrie et des pays de la Corne de l'Afrique.

À plus long terme, il serait bienvenu que les chefs d'État et de gouvernement annonce une mutualisation poussée des moyens de surveillance des frontières, préfigurant l'établissement d'un corps de garde-frontières européens. Et qu'ils envisagent la mise en place d'un «code asile», la reconnaissance mutuelle des décisions d'asile et l'établissement d'un processus unique de décision en matière d'asile...

Quelles peuvent être les bases de l'accord sur la Grèce que ce Conseil européen est appelé à conclure ?

Je crois tout d'abord qu'il est nécessaire que l'accord attendu soit noué au niveau des chefs d'État et de gouvernement, qui ont à la fois la légitimité et la hauteur de vue nécessaires pour prendre la mesure des enjeux et trancher dans le vif. Comme l'a montré le sommet de «l'Eurogroupe» de ce lundi, les grandes lignes du compromis à conclure sont connues.

Il convient d'abord d'aboutir à une liste de réformes structurelles grecques suffisamment convaincante et large pour permettre de redresser et de moderniser ce pays, tout en dégageant un excédent primaire d'environ 1% du PIB en 2015, et un peu plus lors des années suivantes. C'est à la Grèce qu'il appartient d'indiquer quelles recettes elle souhaite augmenter (par exemple l'impôt sur les entreprises ou la TVA) et quelles dépenses elle souhaite réduire (par exemple les dépenses militaires?) pour parvenir à un tel excèdent primaire. Je souligne que l'enjeu sur ce point n'est pas seulement de rassurer les contribuables européens sur la capacité de la Grèce à les rembourser le moment venu, mais de redresser l'économie et de renforcer la crédibilité et la solvabilité de la Grèce en vue de son retour sur les marchés financiers.

Sur cette base, il convient d'engager le déblocage de la dernière tranche d'aide UE-FMI de 7,2 milliards d'euros, qui permettra à la Grèce de faire face à ses échéances de remboursement immédiates. Enfin, à terme, il convient d'envisager la conclusion d'un 3ème programme d'aide de quelques dizaines de milliards d'euros, ainsi que l'examen de l'éventuelle réduction du poids de la dette grecque, si les engagement de réformes pris sont tenus, notamment en matière de retraites.

Les chefs d'États et de gouvernement doivent se persuader qu'ils font face à des responsabilités non pas seulement géopolitiques, mais démocratiques. Le peuple grec souhaite très majoritairement rester dans la zone euro et, si quelques peuples de l'UE montrent des signes d'impatience envers Athènes, tous sont aussi majoritairement attachés à la pérennité et à l'intégrité de l'union monétaire. Dans ce contexte, la responsabilité historique du prochain Conseil européen est d'adopter un compromis qui traduise au mieux ces volontés démocratiques.

C'est parce qu'ils auront privilégié une vision géopolitique des négociations en cours que les chefs d'État et de gouvernement pourront formaliser un tel compromis, en passant outre les réticences légitimes des uns et des autres. On peut bien sûr regretter la stratégie adoptée par le gouvernement d'Alexis Tsipras: s'il insistait davantage sur sa volonté de rupture avec la Grèce des 40 dernières années,http:// qui a été marquée par moments par la corruption, la fraude fiscale et le népotisme, il recevrait un soutien beaucoup plus net de ses créanciers, qu'il a préféré affronter de manière souvent provocatrice en pointant leur responsabilité dans la crise actuelle. On peut aussi considérer que la Grèce ne peut pas rester dans l'union monétaire à n'importe quelles conditions, et même qu'elle n'aurait peut-être pas dû monter dans le «train de l'euro». Une chose est certaine : si la Grèce décide de sauter de ce train (ce qui n'est d'ailleurs pas prévu par les traités) alors qu'il est lancé à pleine vitesse, elle va beaucoup en souffrir, mais les autres Européens aussi ! Car même si le train de l'euro ne déraille pas, un «Grexit» déstabilisera plus encore ce pays charnière du Sud-Est de l'Europe et donc l'UE toute entière. Là encore, s'il faut continuer à être solidaire de la Grèce, c'est parce que c'est aussi dans notre intérêt, afin d'éviter que ce pays ne s'enfonce dans une crise si grave qu'il ne sera plus en capacité de participer au contrôle de l'immigration clandestine ou de lutter contre l'infiltration des groupes terroristes venus du Proche-Orient, sans oublier qu'il renforcera ses liens financiers et politiques avec la Russie de Vladimir Poutine... En l'espèce, il ne s'agit pas seulement de se prémunir contre un «aléa moral» éventuel, mais contre des risques géopolitiques réels.

Les chefs d'États et de gouvernement doivent se persuader qu'ils font face à des responsabilités non pas seulement géopolitiques, mais démocratiques. Le peuple grec souhaite très majoritairement rester dans la zone euro et, si quelques peuples de l'UE montrent des signes d'impatience envers Athènes, tous sont aussi majoritairement attachés à la pérennité et à l'intégrité de l'union monétaire. Dans ce contexte, la responsabilité historique du prochain Conseil européen est d'adopter un compromis qui traduise au mieux ces volontés démocratiques.

delà de la situation grecque, le Conseil européen devrait avoir un débat sur la gouvernance de l'UEM et le Rapport des 5 présidents : quelles sont vos recommandations dans cette perspective?

En matière d'union économique et monétaire, les chefs d'État et de gouvernement sont si occupés à jouer les pompiers qu'ils rechignent à endosser leur rôle d'architectes : mais j'espère tout de même que le Rapport des 5 présidents suscitera un vaste débat, si ce n'est à l'occasion de ce Conseil européen, au moins au cours des prochains mois.

Comme le rappelle ce Rapport, des progrès décisifs ont été faits au cours des 5 dernières années en termes de gouvernance de l'UEM, sous la pression de la crise:je pense notamment à la mise en place de mécanismes de sauvetage de type «ESM» et Fonds de résolution des crises bancaires, assortie de mécanismes de contrôle renforcé des États et des banques. Mais il est nécessaire d'aller plus loin, notamment afin de renforcer le «pilier économique» de l'UEM, afin d'empêcher que les divergences structurelles importantes qui subsistent en son sein ne s'accroissent au point de mettre en péril notre union monétaire : mieux vaut prévenir que guérir, l'expérience des «pays sous programme» nous le rappelle !

Sur ce registre, le Rapport des 5 présidents propose essentiellement le renforcement du mécanisme de surveillance des déséquilibres macro-économiques, la création d'autorités indépendantes de la compétitivité dans tous les pays de l'UEM, ayant pour mandat de déterminer si les salaires évoluent en accord avec la productivité, ainsi que la mise en place à terme d'un mécanisme de stabilisation conjoncturelle, qui per- mettrait d'organiser des transferts financiers temporaires en direction de pays subissant des chocs asymétriques. Toutes ces orientations me paraissent utiles, mais elles me semblent passer à côté des enjeux principaux.

Car l'«union économique» ne peut durablement se limiter à des incitations plus ou moins efficaces pour améliorer la compétitivité-coût des pays. Elle doit inclure des efforts communs visant à améliorer la compétitivité hors coût de tous les pays de l'union monétaire. Il revient naturellement à chaque pays de faire les choix nécessaires, mais il est de la responsabilité de l'UE de les soutenir, pas seulement par la contrainte juridique ou politique. Il convient donc d'instaurer la convergence économique nécessaire pour assurer la soutenabilité de l'euro. C'est aussi dans cette perspective que Jacques Delors a proposé dès 2013 la création d'un «super Fonds de cohésion», capable de fournir des aides ciblées et de l'assistance technique à des pays de la zone euro entreprenant des efforts importants pour améliorer leur compétitivité hors coût. Je souhaite qu'une telle idée occupe une place centrale dans le débat suscité par le Rapport des 5 présidents.

Garantir le bon fonctionnement de «l'union économique» suppose aussi une coordination voire une intégration plus poussée, pas seulement via la surveillance des politiques nationales ou l'approfondissemendu marché unique. Il est par exemple essentiel que des mesures propres à la zone euro visent à garantir que l'intégration est un facteur de robustesse, et non de fragilité : je pense notamment à une harmonisation de la fiscalité des entreprises et à la définition de standards sociaux minimaux afin d'éviter un nivellement par le bas et des «dévaluations internes» non coopératives. Voilà typiquement deux enjeux vis-à-vis desquels nous avons besoin de revoir l'architecture de l'union économique – bien au-delà des «remèdes de pompiers» administrés récemment en termes d'union budgétaire et d'union bancaire. Le Rapport des 5 présidents me semble très timide sur ces registres...

J'ajoute pour finir que le Rapport des 5 présidents comprend toute une série d'orientations bienvenues en matière démocratique et institutionnelle, notamment centrées sur une implication renforcée des parlements nationaux et du Parlement européen: il est évidemment capital que le débat qui s'ouvre se concentre sur ces enjeux afin que la légitimité de la gouvernance de l'UEM puisse être renforcée au cours des prochaines années.

Le Conseil européen va aussi traiter de la stratégie européenne en matière de croissance et d'emploi, et notamment de l'état d'avancement du «Plan Juncker»: qu'en attendez-vous?

La stratégie européenne en matière de croissance et d'emploi repose sur trois volets principaux : renforcer l'investissement, mettre en place des réformes structurelles qui permettront de moderniser les économies et consolider les finances publiques afin de limiter/réduire l'endettement. Les efforts entrepris sur le troisième volet permettent aujourd'hui à la Commission Juncker de prêter davantage d'attention aux deux autres: d'une part avec l'adoption de nouvelles règles interprétatives du Pacte de stabilité et de croissance, qui permet de donner plus de marges de manœuvre budgétaire aux pays ayant adopté des réformes structurelles ou faisant certains types d'investissements; d'autre part, avec l'approbation d'un plan ambitieux pour relancer les investissements en Europe.

Concernant ce «Plan Juncker», l'accord récemment trouvé entre le Parlement et le Conseil sur le règlement du Fonds européen d'investissements stratégiques (FEIS), va permettre à ce Fonds d'être pleinement opérationnel après l'été. Nous pouvons être confiants sur le fait que le Fonds atteindra les 315 milliards d'investissement prévus, mais sera-t-il capable de le faire en attirant des financements additionnels et dans un délai rapide? Et quelle sera la répartition par secteur et par pays des projets financés par le Plan Juncker? Tout cela dépendra en grande partie de la stratégie d'investissement fixée par le Comité de pilotage du Fonds, mais aussi d'autres facteurs tels que l'efficacité de la nouvelle plateforme européenne de conseil en invetissement (EIAH) à assister les promoteurs publics et privés partout sur le territoire de l'UE dans la définition et la structuration de projets de qualité.

Je crois qu'il faut aussi se concentrer sur les deux autres composantes du Plan Juncker, et notamment celle visant à réduire les entraves règlementaires à l'in-vestissement, autant au niveau européen qu'au niveau national. Il serait en effet contreproductif d'encourager l'investissement privé d'un côté, tout en imposant aux investisseurs institutionnels des obligations trop restrictives, par exemple en termes de solvabilité: il en va de la cohérence globale de l'action de l'UE, mais aussi de son efficacité.

Les chefs d'État et de gouvernement sont appelés à évoquer les enjeux de sécurité et de défense, y compris la lutte contre le terrorisme: quelles doivent être les priorités de l'UE sur ces registres ?

La mobilisation des Européens dans la lutte contre le terrorisme doit se poursuivre, et cela passe par l'adoption des propositions déjà sur la table, qu'il s'agisse de l'échange d'informations relatif aux passagers aériens (PNR) ou de l'adoption de l'Agenda européen pour la sécurité 2015-2020, qui prévoit des mesures très utiles pour lutter contre la radicalisation, couper le financement des criminels, renforcer la lutte contre la cybercriminalité, etc. Il s'agit de mettre en place une approche européenne globale de la sécurité, fondée sur le renseignement, la coopération et la prévention.

Cela passe par le renforcement des capacités d'Europol, la création d'un Centre européen de la lutte contre le terrorisme, d'une Unité de signalement des contenus sur internet et d'un Centre d'excellence chargé de collecter et diffuser une expertise en matière de radicalisation.

Dès lors que notre sécurité intérieure est de plus en plus indissociable de l'évolution du voisinage de l'UE, les chefs d'États et de gouvernement doivent activement s'engager dans la révision de la Stratégie européenne de sécurité, dont le principe a été acté lors du Conseil des ministres de la défense à Riga le 19 février dernier.

La consultation amorcée par Federica Mogherini dans les États membres doit être approfondie pour susciter un véritable débat européen, qui permette de faire converger les diagnostics sur les menaces d'aujourd'hui et de demain et de préparer les citoyens et leurs gouvernements respectifs à engager plus de moyens financiers pour y répondre, ainsi qu'à favoriser des prises de position européenne cohérentes et solidaires. de position européenne cohérentes et solidaires.

La dégradation rapide de la situation au Moyen-Orient, avec la progression de Daesh, l'instabilité de la région subsaharienne, les tensions croissantes avec la Russie appellent une mobilisation rapide des Européens. Le défi russe et celui de l'islamisme radical nous obligent à réfléchir ensemble à la façon dont nous voulons peser sur les nouvelles alliances qui se dessinent à l'échelon mondial et régional (renforcement des liens entre Chine et Russie, accord avec l'Iran, relâchement des liens entre États-Unis et Arabie Saoudite, etc.). Il ne fait pour moi aucun doute que, face aux menaces croissantes qui émergent autour de nous, les États membres seront beaucoup plus efficaces unis qu'isolés: là encore, c'est notre intérêt immédiat qui doit nous inciter à être davantage solidaire à court et moyen termes.

Publicado originalmente por © Notre Europe – Institut Jacques Delors http://www.institutdelors.eu/ el 24 de junio de 2015